Assurance chômage : crise de régime

Près de 10 % de sans-emploi, «recalculés» en justice, intermittents... L'Unedic va mal et sa convention risque même d'être annulée.

Par Hervé NATHAN
mercredi 21 avril 2004 (Liberation - 06:00)

C'est la plus mauvaise nouvelle qui pouvait tomber pour le gouvernement et les partenaires sociaux gestionnaires de l'Unedic : le chômage est plus élevé que l'on croyait jusqu'à présent. Lundi, l'Insee a révisé, comme elle le fait périodiquement, les statistiques du chômage. Il s'élevait à la fin 2003 à 9,9 % de la population active. Et, en février, il concerne encore 9,8 % des actifs, tout proche de la barre des 10 % que le gouvernement Raffarin ne veut surtout pas atteindre. En fait, l'Insee a mieux compté les «disparus» des statistiques, ces chômeurs qui renoncent à pointer à l'ANPE. Et révèle que c'est la politique de l'emploi du gouvernement qui a creusé le chômage, en faisant disparaître 100 000 emplois publics en 2003, principalement des emplois jeunes. En regard, l'emploi privé s'est plutôt bien tenu.

La révision des chiffres du chômage intervient alors que l'ensemble du système de couverture des chômeurs français - Unedic, Allocation de solidarité spécifique (ASS) et RMI-RMA - est en crise. Hier, Ernest-Antoine Seillière, le patron du Medef, a révélé sa grande crainte : que la convention de l'Unedic (assurance chômage) soit annulée le 7 mai par une décision du Conseil d'Etat. Si celui-ci faisait droit aux associations de chômeurs qui attaquent sur un défaut de procédure, l'Unedic ne pourrait ni lever les cotisations, ni payer les prestations des allocataires. Un scénario hypothétique, mais qui traduit le désarroi dans l'instance patronale.

Plaintes. C'est peu dire que le patronat a du vague à l'âme depuis la victoire des «recalculés» la semaine dernière devant le tribunal de grande instance de Marseille. Les plaintes contre l'Unedic font boule de neige à travers le pays, comme le montre l'exemple de Bordeaux (lire ci-dessous). Hier, on apprenait que deux cents plaintes étaient prêtes à être déposées devant les tribunaux de Colmar et Mulhouse (Haut-Rhin), Besançon et Montbéliard (Doubs), et Belfort, pour «rupture de contrat». Le Medef espère que la cour d'appel d'Aix-en-Provence infirmera le jugement de Marseille le 10 juin. Et que d'autres jugements attendus seront défavorables aux chômeurs. «Mais nous sommes dans une situation juridique embarrassante et confuse», convient Ernest-Antoine Seillière. L'affaire a pris une telle tournure que plus personne au Medef ne se risque à prédire l'avenir de la convention de l'Unedic, signée par trois organisations patronales (Medef, CGPME et UPA) et trois syndicats de salariés (CFDT, CFTC et CGC). Un membre du Medef dit n'avoir qu'une seule certitude : «Quoi qu'il en soit, nous ne pourrons pas retourner à la case départ...»

Refus. Le patronat ne veut pas entendre parler d'une renégociation de la convention : «Tout le monde aurait à y perdre, explique Denis Gauthier Sauvagnac, président de l'Unedic, les entreprises qui ne veulent pas entendre parler d'une hausse des cotisations pour combler le déficit de 1 à 2 milliards (en plus des 7 milliards de déficits cumulés) que susciterait la réintégration des recalculés dans leurs droits antérieurs, les salariés et surtout les chômeurs à qui on réduira les droits.» Il refuse aussi de devoir négocier sous la pression. Hier, Ernest-Antoine Seillière a fustigé le fait que «les accords légitimes sont sans cesse remis en cause par la loi et la rue et les juges». Le message s'adressait aussi au gouvernement, qui presse l'Unedic de revoir la convention spécifique régissant les intermittents. Lundi soir, Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la Culture, jugeait que l'accord de l'été 2003 «ne permet pas vraiment de répondre aux difficultés structurelles rencontrées par l'assurance chômage pour ce secteur». Le soir même, la cérémonie des Molières était perturbée par les intermittents. Pour le Medef, pas question non plus de retoucher l'accord «intermittents».

«Catastrophe». Les partenaires sociaux en sont-ils d'ailleurs capables ? François Chérèque (CFDT) entrevoit dans une négociation une «catastrophe pour les chômeurs», qui en serait aussi une pour son organisation, pivot des accords avec le patronat, et qui avait assumé le discrédit suscité par l'apparition des «recalculés». Déjà, Jean-Luc Cazettes (CGC), pourtant signataire de la convention de 2002, pose une condition qui semble irréaliste : «Que la CGT et FO se mouillent et signent l'accord.»

Mais l'onde de choc ne se limitera pas aux partenaires sociaux. Le gouvernement est lui aussi concerné, la crise de l'Unedic rejaillit sur sa politique sociale. Sa réforme de l'ASS, aujourd'hui gelée par Jacques Chirac, était présentée par François Fillon comme «la conséquence» des décisions de l'Unedic. C'est parce qu'elle faisait passer les «recalculés» à la charge de l'Etat que le ministre du Travail de l'époque avait décidé de réduire la durée d'indemnisation des chômeurs de longue durée bénéficiaires de l'ASS. Il y voyait l'illustration de la «revalorisation du travail» chère à la droite. Aujourd'hui, tout l'ouvrage est à remettre sur le métier par Jean-Louis Borloo, successeur de Fillon. La révision pourrait aussi atteindre le RMA (Revenu minimum d'activité), conçu comme débouché naturel du chômage de longue durée. Sa gestion a été confiée aux départements mais les présidents de conseils généraux d'opposition ne cachent pas leur intention de ne pas appliquer ou d'amender sérieusement le dispositif.

Chômage
Les «recalculés» affluent dans les tribunaux

Des chômeurs portent plainte à Bordeaux, encouragés par la décision de Marseille.

Par Colette GOINERE
mercredi 21 avril 2004 (Liberation - 06:00)

«Tout cela m'effraie. Maintenant, il va falloir suivre» : Gérard Boulanger, avocat des 112 chômeurs qui attaquent en justice l'Assedic Aquitaine, se dit «dépassé» par un «raz de marée». En une seule journée, 37 coups de téléphone ont inondé son cabinet. Le jugement de Marseille, qui donne raison à 35 «recalculés» (Libération du 16 avril), donne des ailes aux chômeurs d'Aquitaine. «Les standards explosent. On ne sait pas comment on va faire. On passe notre temps à répondre au téléphone», indiquait Patrick Gimond, le porte-parole de l'Association pour l'emploi, l'information, la solidarité des chômeurs et des précaires (Apeis), lors d'une conférence de presse, lundi à Bordeaux, aux côtés de la CGT Chômeurs, d'AC ! et du MNCP, le Mouvement national des chômeurs précaires.

«Vendus». Béret noir vissé sur la tête, orné d'un autocollant où il est écrit «Colère» en lettres rouges, Patrick Gimond s'avoue «débordé». «Nous sommes trop sollicités. Notre travail perd en qualité. On est obligés de recevoir les demandeurs d'emploi collectivement dans une salle», lâche-t-il. La trentaine de «copains» bénévoles de l'association ne sait plus où donner de la tête. Au local d'AC ! Gironde, même scénario. Le téléphone sonne sans arrêt. Mais pas de quoi effrayer Annette, 54 ans, militante bénévole, avec les rondeurs rassurantes d'une bonne maman : «On encourage les chômeurs à porter plainte. On leur dit qu'ils ne sont pas seuls. Enfin, les chômeurs ont l'espoir de retrouver leur dignité.» Le jugement de Marseille, c'est une «victoire juridique et politique. Pour la première fois, on fait plier le dos au Medef et à la CFDT, ce syndicat de vendus», explique Annette, sympathisante à la LCR. Alors, pour cette militante de tous les combats, être submergée d'appels n'entame en rien sa détermination.

A l'occasion de la conférence de presse, Christian, 55 ans, un recalculé, ex-cadre dans le transport aérien, en situation précaire depuis dix ans, lance un appel à ceux «qui ont des couilles» pour qu'ils se réunissent, parce que c'est «inacceptable que l'organisme chargé de nous aider nous file un deuxième coup de bambou». Elisabeth, autre recalculée, mariée, deux enfants, prend ensuite la parole. Elle porte plainte pour «retrouver sa dignité» et n'a pas le coeur à plaisanter. La suppression de sept mois d'allocations, c'est comme une «punition», celle de «ne pas avoir retrouvé du travail».

«Béton». Le 28 avril, le tribunal d'instance de Bordeaux va se pencher sur le cas de 112 chômeurs qui ont assigné l'Assedic en justice. Une première vague, 250 dossiers ayant déjà été constitués. Gérard Boulanger, qui les défend, se veut «confiant» : «Notre combat juridique est béton.» Dans les associations de chômeurs, on ne veut pas en rester là. On veut des négociations «sérieuses». «L'Unedic n'est plus adaptée à notre société», estime Patrick Gimond, qui réclame «une gestion quadripartite (Etat, patronat, syndicats, associations de chômeurs) et une indemnisation minimale de tous les chômeurs qui ne soit pas inférieure au Smic». En attendant, il faut sonner le rappel pour le 28 avril. Devant le palais de justice, les associations espèrent faire nombre. Persuadées que la victoire de Marseille ne restera pas unique.

Assurance chômage
Ouvrons le débat à l'UNEDIC !

La condamnation de l'UNEDIC par la justice marseillaise dans l'affaire des " recalculés " fait des vagues. Les gestionnaires de l'assurance chômage agitent le " déficit " du régime comme une arme de dissuasion contre toute alternative.

" Ça veut dire qu'il faut remettre en cause tout le système, et je crois que ce n'est dans l'intérêt de personne : pas plus des cotisants, les employeurs et les salariés qui ne souhaitent pas du tout qu'on augmente les cotisations, que des chômeurs indemnisés eux-mêmes, dont le régime risque d'être modifié, et pas dans le bon sens. " L'obscénité de la menace ne laisse pas d'étonner. Bien taiseux jusque-là, le MEDEF n'en finit pas, par la voix du président de l'UNEDIC Denis Gautier-Sauvagnac, d'étaler les prophéties apocalyptiques depuis le jugement rendu jeudi par le tribunal de grande instance de Marseille. L'indemnisation de tous les " recalculés " coûterait, d'après Denis Gautier-Sauvagnac, entre 1,5 et 2 milliards d'euros, alors que le trou cumulé aujourd'hui dans les comptes du régime s'élève à 6,5 milliards d'euros. Derrière ce " pas dans le bon sens ", il n'y a sans doute pas seulement l'expression de mauvais perdants. C'est toute la logique à l'éuvre depuis vingt-cinq ans dans la négociation, dansla gestion et dans le paritarisme à l'assurance chômage que trahissent ces déclarations catastrophistes du patronat, comme celles catastrophées de la CFDT. " Il n'y a pas de miracle, estime ainsi François Chérèque, secrétaire général de la CFDT. Il faut soit trouver de nouvelles recettes - donc augmenter les cotisations salariales et patronales -, soit réduire le niveau d'indemnisation des chômeurs. Le MEDEF souhaite rétablir la dégressivité. À la CFDT, nous nous y opposons. Nous privilégierions donc le niveau de cotisation, ce que refuse le MEDEF. Autant dire qu'un accord risque d'être aléatoire. De ce point de vue, on peut se demander, en cas de confirmation du jugement, si l'un des grands vainqueurs ne serait pas le MEDEF. Il pourrait ainsi relancer le débat sur la dégressivité, à laquelle la convention de janvier 2001 avait mis fin. " À en croire les gestionnaires de l'UNEDIC, l'avenir ne s'écrit que sous cette " contrainte " indépassable, en occultant consciencieusement toutes les propositions alternatives : on dénonce les prétentions du MEDEF, mais on les présente comme inéluctables, on ne tolère pas le débat, le cadre est immuable, corseté.

Un " donnant-donnant " mensonger

Marquée par la logique du " donnant-donnant " - en 1979, Yvon Chotard, chef de file du CNPF à l'époque, emploie pour la première fois cette expression -, la négociation à l'assurance chômage aboutit toujours, depuis les années quatre-vingt, à faire payer la note aux privés d'emploi. De manière très significative, le dernier accord en date, celui du 20 décembre 2002 qui instaure le " recalcul " des droits pour 856 000 chômeurs, était, aux yeux de ses signataires (patronat, CFDT, CFTC et CGC), " équilibré " : pour endiguer la perspective d'un déficit mirobolant, les négociateurs patronaux et syndicaux avaient joué, pour moitié (6,75 milliards d'euros de recettes en plus), sur une augmentation du taux de cotisation (strictement répartie entre la part patronale et la part salariale) et, pour l'autre moitié (6,58 milliards d'euros de dépenses en moins), sur la réduction des durées d'indemnisation et le durcissement des conditions à remplir pour les salariés précaires. Au bout du compte, selon le chiffrage de l'UNEDIC à l'époque, les employeurs contribuent pour 25 % seulement à la tentative de redressement financier du régime d'assurance chômage. Une merveille d'" équilibre ", non ?

Comme le relève dans son délibéré le tribunal de grande instance de Marseille, le déficit de l'UNEDIC est imputable à " une réduction volontaire des cotisations patronales et salariales " mise en oeuvre par la convention du 1er janvier 2001. " Chaque fois que le régime a été en excédent, une baisse des cotisations est intervenue qui a eu pour effet de mettre le régime en déficit ", estime Charles Hoareau, dirigeant de la CGT chômeurs : " Au lieu de réévaluer les cotisations, ce sont les prestations des chômeurs qui ont été diminuées. Depuis plus de vingt ans alors que le chômage progresse, la part des cotisations dans le PIB ne cesse de régresser. Il émane de l'analyse des documents établis par l'UNEDIC elle même que l'évolution du résultat de l'organisme est directement dépendante de l'évolution du taux de cotisation. De même, il ressort des Comptes de la nation, au chapitre Protection sociale, que la seule baisse continue des cotisations entre 1990 et 2001 représente un manque à gagner annuel de l'ordre de 30 milliards d'euros par an. " Le déficit de l'UNEDIC et le chantage (s'appuyant sur la résignation) auquel il donne lieu méritent d'être pris très au sérieux. Mais il convient de renverser l'ordre des questions, car le système actuel pénalise, " responsabilise ", plus les chômeurs que les entreprises. " Il faut revenir au fond, préconise Faïza El Kemoun, du Mouvement national des chômeurs et des précaires (MNCP). L'UNEDIC devrait être une véritable branche de la protection sociale : certes, quand le régime a été créé le chômage ne représentait pas un risque aussi important que la maladie ou la vieillesse, mais aujourd'hui on voit bien que le chômage est un risque bien réel, une menace pour tout le monde. Cette affaire doit permettre à la société de prendre conscience et de changer sa conception. Ce coup de pied dans la fourmilière doit permettre de relancer le débat sur nos choix de société. " Pour Philippe Villechalane, président de l'Association pour l'emploi, l'information et la solidarité des chômeurs et des précaires (APEIS), " si, après cette première victoire en justice, on ne mène pas une bataille politique de grande ampleur, on risque de se retrouver avec une nouvelle convention UNEDIC qui dégrade encore l'indemnisation du chômage. Nous exigeons du gouvernement qu'il organise une table ronde avec les syndicats, bien entendu, les associations, le patronat - s'il le souhaite - et l'État. Pour financer la protection sociale contre le chômage, nous prônons notamment l'instauration d'une forme de dégressivité, une forme de bonus-malus, mais pas pour les chômeurs : pour les entreprises ayant recours à la précarité et aux licenciements comme mode de gestion. " Alors que la CGT demande la tenue d'un conseil d'administration extraordinaire de l'UNEDIC, la CFDT, la CFTC et la CGC réclament une simple réunion du bureau. " C'est assez paradoxal ou louche, relève Marc Moreau, d'Agir ensemble contre le chômage (AC). On les entend pleurnicher sur l'ampleur du déficit, mais ils ne semblent pas pressés de renégocier : ils ne parlent de négociation que pour l'automne prochain ! " En fait, du côté du MEDEF, pas de surprise à attendre. Il prônera selon toute vraisemblance son remède préféré : revoir à la baisse les allocations versées aux chômeurs, par exemple en rétablissant la dégressivité en vigueur jusqu'en 2000. Mais qui, cette fois, acceptera de suivre le patronat sur une voie dont l'injustice vient d'être spectaculairement condamnée ? Pas la CFDT qui, affirme François Chérèque, " s'oppose " au retour de la dégressivité et veut " privilégier " l'autre levier : une augmentation des cotisations. Le MEDEF, lui, on le sait, arc-bouté sur le dogme de la baisse des prélèvements obligatoires, n'envisage pas un instant une hausse de la contribution patronale. Et l'on peut craindre qu'il soit tenté de laisser pourrir la situation, pour, comme le pronostique un syndicaliste, favoriser la mise en place d'" un régime à l'anglo-saxonne où très peu de chômeurs sont indemnisés en tant que tels, et où le plus grand nombre est basculé vers la solidarité nationale, l'assistance ".

Revoir l'assiette des cotisations

Pour la CGT, face au danger l'heure est venue d'une réforme en profondeur du système d'indemnisation de la perte d'emploi. Une réforme visant à améliorer la couverture - tant en étendant le périmètre (six chômeurs sur dix ne sont pas indemnisés) qu'en relevant les allocations -, mais aussi à modifier le financement du système. Premier axe : " Il faut revoir l'assiette des cotisations patronales en prenant en compte les richesses créées par les entreprises, la valeur ajoutée ", préconise Jacqueline Lazarre, représentante de la CGT au bureau de l'UNEDIC. Il s'agit, par la modulation des taux de cotisations, de " rendre plus cher le chômage et la précarité " et, à l'inverse, d'encourager la création d'emplois de qualité. Dans la foulée, la CGT propose d'instaurer une surcotisation applicable " aux entreprises qui utilisent la précarité sous toutes ses formes : intérim, CDD, heures supplémentaires... ". Une suggestion faite également par Force ouvrière, qui fait observer que l'emploi précaire " participe pour 5,6 milliards d'euros chaque année au déficit global " de l'UNEDIC. Pour Jacqueline Lazarre, la responsabilité des pouvoirs publics est aussi engagée : " La question du financement n'est tenable que si l'État, le gouvernement et le Parlement réglementent sérieusement la précarité, la sous-traitance, les filiales. " Et d'avancer l'idée de revoir le système des allégements de charges et d'aides publiques de manière à conditionner leur attribution à la création d'emplois à durée indéterminée et à temps plein.

" Je peux vous dire que nous n'accepterons pas un accord avec les trois mêmes signataires qu'en 2002 " (CFDT, CFTC et CGC), tonitrue Jean-Luc Cazettes, président de la centrale des cadres. " La CGT et FO devront se mouiller. " Peut-être faudra-il alors que ça aille " dans le bon sens ", à rebours des prétentions de Denis Gautier-Sauvagnac et de ses amis...

Yves Housson et Thomas Lemahieu

L'annulation de la convention Unedic obligerait le gouvernement à intervenir par décret

LE MONDE | 21.04.04 | 13h58

Medef et syndicats redoutent la décision du Conseil d'Etat, saisi par les associations de chômeurs. Jean-Louis Borloo pourrait être contraint de fixer le niveau des cotisations et des prestations.

Le président du medef a dit tout haut ce que les syndicats de salariés, signataires ou non de l'accord de décembre 2002, confessent tout bas : la perspective d'une annulation de la convention d'assurance-chômage, évoquée mardi 20 avril par Ernest-Antoine Seillière, est prise très au sérieux par les partenaires sociaux. Ils redoutent désormais ouvertement les multiples conséquences juridico-administratives, financières, sociales et politiques qu'une telle décision aurait dans un contexte économique défavorable.

Dans leur combat pour les "recalculés", dont les allocations ont été interrompues prématurément, les associations de chômeurs ont multiplié les recours. Elles ont saisi le Conseil d'Etat en avril 2003, et réclament l'annulation pour vice de forme des agréments gouvernementaux donnés aux conventions Unedic (Le Monde du 12 mars 2004). La haute juridiction administrative doit rendre sa décision sous peu, peut-être dès l'audience publique du 7 mai.

A mesure que cette échéance se rapproche, l'inquiétude monte dans les rangs du patronat et des syndicats, conscients qu'une annulation plongerait l'Unedic dans une situation "confuse et embarrassante", selon M. Seillière (Medef). "Si la convention devait être annulée, nous serions dans une panade noire", remarque plus franchement Michel Coquillion (CFTC). Il y aurait un "énorme problème juridique", admet Jean-Claude Quentin (FO).

Le gouvernement ne tient pas cette hypothèse pour la plus probable, mais il l'examine. Il sait qu'il pourrait être contraint d'intervenir par voie réglementaire pour pallier la situation de vide juridique créée par l'annulation des agréments. Signe du changement de cap gouvernemental, Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi et de la cohésion sociale, a récemment reçu les associations de chômeurs. Le 15 avril, le directeur du cabinet de Gérard Larcher, le ministre délégué aux relations du travail, a fait de même. Ils se sont dits attentifs aux contentieux en cours.

  • Une "faute de droit".

    A l'appui du vice de forme, le requérant des associations de chômeurs, Me Arnaud Lyon-Caen, met en avant le caractère irrégulier de la composition de l'instance consultée sur les agréments des accords : la commission permanente du comité supérieur de l'emploi. De fait, les ministres du travail qui se sont succédé entre 1990 et 2003 ont négligé de procéder formellement à la nomination de ses nouveaux membres. FO avait déjà déposé un recours devant le Conseil d'Etat sur ce point de droit à propos des intermittents. Craignant qu'elle n'obtienne gain de cause, François Fillon, alors ministre des affaires sociales, avait publié un arrêté modifiant la composition du comité supérieur de l'emploi. Mais c'est bien une commission irrégulière, car non encore renouvelée, qui a examiné les agréments des dernières conventions, et les juristes patronaux et syndicaux accordent du crédit aux arguments de Me Arnaud Lyon-Caen.

  • Les chômeurs concernés.

    L'annulation par le Conseil d'Etat des arrêtés d'agrément frapperait de nullité les deux dernières conventions d'assurance-chômage et tous les textes qui s'y rapportent, notamment les annexes 8 et 10 relatives aux intermittents du spectacle. Tous les demandeurs d'emploi indemnisés dans ce cadre seraient concernés, le régime d'assurance-chômage devant théoriquement réexaminer la situation de plusieurs centaines de milliers d'entre eux, dont certains ont disparu des fichiers de l'ANPE...

  • Un surcoût pour l'Unedic.

    Une telle situation aurait d'importantes conséquences financières. L'Unedic évalue de "1,5 à 2 milliards d'euros" le surcoût lié à une indemnisation complémentaire des "recalculés". Son bureau étudiera, lundi 26 avril ou mardi 27, toutes les conséquences de la décision prise par le tribunal de grande instance de Marseille en faveur de 35 "recalculés". Il pourrait apporter des précisions complémentaires.

    Quoi qu'il en soit, ce surcoût arrive au plus mauvais moment pour un régime lourdement déficitaire (8 milliards fin septembre), qui jongle avec sa trésorerie entre le 10 et le 15 de chaque mois pour verser aux chômeurs leurs prestations. La révision à la hausse des statistiques du chômage par l'Insee (9,8 % fin février) et les incertitudes pesant sur la croissance n'arrangent rien.

  • L'hypothèse d'une renégociation, ou d'un décret gouvernemental.

    Une annulation rendrait inéluctable une renégociation de la convention : "Théoriquement, on ne pourrait plus ni prélever de cotisations ni verser de prestations aux chômeurs", pointe M. Quentin (FO). Mais entre l'amertume des syndicats signataires désavoués, l'opposition du patronat à toute augmentation des cotisations, la volonté de FO et de la CGT d'obtenir des améliorations et le déficit croissant du régime, les difficultés ne manqueront pas."

    Je ne vois pas très bien comment nous pourrions faire sans financement complémentaire des pouvoirs publics", relève M. Coquillion. Cette négociation prenant du temps, le gouvernement pourrait être obligé de fixer par décret le niveau des cotisations et des prestations. Comme Pierre Bérégovoy, alors ministre des affaires sociales, avait dû le faire en 1982, après la dénonciation de la convention Unedic par le patronat.

    Claire Guélaud


    315 000 chômeurs "recalculés" fin mars

     

    Les tribunaux de grande instance (TGI) de Roanne (Loire) et de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) devaient examiner, mercredi 21 avril, les plaintes déposées contre les Assedic départementales et contre l'Unedic par des chômeurs radiés à la suite de l'application au 1er janvier des nouvelles règles d'indemnisation. Leurs jugements pourraient être mis en délibéré, comme celui du TGI d'Angers, qui rendra sa décision le 22 juin au sujet de neuf premières assignations de "recalculés" contre l'Assedic des Pays de La Loire et l'Unedic. A la mi-avril, le TGI de Marseille a donné raison à 35 demandeurs d'emploi "recalculés", et l'Unedic a fait appel de cette décision. Selon les associations de chômeurs, 2 000 dossiers ont été déposés ou sont en cours de constitution. Quant aux "recalculés", évalués par l'Unedic à 265 000 fin janvier, leur nombre augmente. Selon FO, il s'accroît de quelque 25 000 personnes par mois et s'établissait, fin mars, à 315 000.

  •  ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 22.04.04