Assurance chômage : crise de régime |
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Assurance chômage
Ouvrons le débat à l'UNEDIC !
La condamnation de l'UNEDIC par la justice marseillaise dans l'affaire des " recalculés " fait des vagues. Les gestionnaires de l'assurance chômage agitent le " déficit " du régime comme une arme de dissuasion contre toute alternative.
" Ça veut dire qu'il faut remettre en cause tout le système, et je crois que ce n'est dans l'intérêt de personne : pas plus des cotisants, les employeurs et les salariés qui ne souhaitent pas du tout qu'on augmente les cotisations, que des chômeurs indemnisés eux-mêmes, dont le régime risque d'être modifié, et pas dans le bon sens. " L'obscénité de la menace ne laisse pas d'étonner. Bien taiseux jusque-là, le MEDEF n'en finit pas, par la voix du président de l'UNEDIC Denis Gautier-Sauvagnac, d'étaler les prophéties apocalyptiques depuis le jugement rendu jeudi par le tribunal de grande instance de Marseille. L'indemnisation de tous les " recalculés " coûterait, d'après Denis Gautier-Sauvagnac, entre 1,5 et 2 milliards d'euros, alors que le trou cumulé aujourd'hui dans les comptes du régime s'élève à 6,5 milliards d'euros. Derrière ce " pas dans le bon sens ", il n'y a sans doute pas seulement l'expression de mauvais perdants. C'est toute la logique à l'éuvre depuis vingt-cinq ans dans la négociation, dansla gestion et dans le paritarisme à l'assurance chômage que trahissent ces déclarations catastrophistes du patronat, comme celles catastrophées de la CFDT. " Il n'y a pas de miracle, estime ainsi François Chérèque, secrétaire général de la CFDT. Il faut soit trouver de nouvelles recettes - donc augmenter les cotisations salariales et patronales -, soit réduire le niveau d'indemnisation des chômeurs. Le MEDEF souhaite rétablir la dégressivité. À la CFDT, nous nous y opposons. Nous privilégierions donc le niveau de cotisation, ce que refuse le MEDEF. Autant dire qu'un accord risque d'être aléatoire. De ce point de vue, on peut se demander, en cas de confirmation du jugement, si l'un des grands vainqueurs ne serait pas le MEDEF. Il pourrait ainsi relancer le débat sur la dégressivité, à laquelle la convention de janvier 2001 avait mis fin. " À en croire les gestionnaires de l'UNEDIC, l'avenir ne s'écrit que sous cette " contrainte " indépassable, en occultant consciencieusement toutes les propositions alternatives : on dénonce les prétentions du MEDEF, mais on les présente comme inéluctables, on ne tolère pas le débat, le cadre est immuable, corseté.
Un " donnant-donnant " mensonger
Marquée par la logique du " donnant-donnant " - en 1979, Yvon Chotard, chef de file du CNPF à l'époque, emploie pour la première fois cette expression -, la négociation à l'assurance chômage aboutit toujours, depuis les années quatre-vingt, à faire payer la note aux privés d'emploi. De manière très significative, le dernier accord en date, celui du 20 décembre 2002 qui instaure le " recalcul " des droits pour 856 000 chômeurs, était, aux yeux de ses signataires (patronat, CFDT, CFTC et CGC), " équilibré " : pour endiguer la perspective d'un déficit mirobolant, les négociateurs patronaux et syndicaux avaient joué, pour moitié (6,75 milliards d'euros de recettes en plus), sur une augmentation du taux de cotisation (strictement répartie entre la part patronale et la part salariale) et, pour l'autre moitié (6,58 milliards d'euros de dépenses en moins), sur la réduction des durées d'indemnisation et le durcissement des conditions à remplir pour les salariés précaires. Au bout du compte, selon le chiffrage de l'UNEDIC à l'époque, les employeurs contribuent pour 25 % seulement à la tentative de redressement financier du régime d'assurance chômage. Une merveille d'" équilibre ", non ?
Comme le relève dans son délibéré le tribunal de grande instance de Marseille, le déficit de l'UNEDIC est imputable à " une réduction volontaire des cotisations patronales et salariales " mise en oeuvre par la convention du 1er janvier 2001. " Chaque fois que le régime a été en excédent, une baisse des cotisations est intervenue qui a eu pour effet de mettre le régime en déficit ", estime Charles Hoareau, dirigeant de la CGT chômeurs : " Au lieu de réévaluer les cotisations, ce sont les prestations des chômeurs qui ont été diminuées. Depuis plus de vingt ans alors que le chômage progresse, la part des cotisations dans le PIB ne cesse de régresser. Il émane de l'analyse des documents établis par l'UNEDIC elle même que l'évolution du résultat de l'organisme est directement dépendante de l'évolution du taux de cotisation. De même, il ressort des Comptes de la nation, au chapitre Protection sociale, que la seule baisse continue des cotisations entre 1990 et 2001 représente un manque à gagner annuel de l'ordre de 30 milliards d'euros par an. " Le déficit de l'UNEDIC et le chantage (s'appuyant sur la résignation) auquel il donne lieu méritent d'être pris très au sérieux. Mais il convient de renverser l'ordre des questions, car le système actuel pénalise, " responsabilise ", plus les chômeurs que les entreprises. " Il faut revenir au fond, préconise Faïza El Kemoun, du Mouvement national des chômeurs et des précaires (MNCP). L'UNEDIC devrait être une véritable branche de la protection sociale : certes, quand le régime a été créé le chômage ne représentait pas un risque aussi important que la maladie ou la vieillesse, mais aujourd'hui on voit bien que le chômage est un risque bien réel, une menace pour tout le monde. Cette affaire doit permettre à la société de prendre conscience et de changer sa conception. Ce coup de pied dans la fourmilière doit permettre de relancer le débat sur nos choix de société. " Pour Philippe Villechalane, président de l'Association pour l'emploi, l'information et la solidarité des chômeurs et des précaires (APEIS), " si, après cette première victoire en justice, on ne mène pas une bataille politique de grande ampleur, on risque de se retrouver avec une nouvelle convention UNEDIC qui dégrade encore l'indemnisation du chômage. Nous exigeons du gouvernement qu'il organise une table ronde avec les syndicats, bien entendu, les associations, le patronat - s'il le souhaite - et l'État. Pour financer la protection sociale contre le chômage, nous prônons notamment l'instauration d'une forme de dégressivité, une forme de bonus-malus, mais pas pour les chômeurs : pour les entreprises ayant recours à la précarité et aux licenciements comme mode de gestion. " Alors que la CGT demande la tenue d'un conseil d'administration extraordinaire de l'UNEDIC, la CFDT, la CFTC et la CGC réclament une simple réunion du bureau. " C'est assez paradoxal ou louche, relève Marc Moreau, d'Agir ensemble contre le chômage (AC). On les entend pleurnicher sur l'ampleur du déficit, mais ils ne semblent pas pressés de renégocier : ils ne parlent de négociation que pour l'automne prochain ! " En fait, du côté du MEDEF, pas de surprise à attendre. Il prônera selon toute vraisemblance son remède préféré : revoir à la baisse les allocations versées aux chômeurs, par exemple en rétablissant la dégressivité en vigueur jusqu'en 2000. Mais qui, cette fois, acceptera de suivre le patronat sur une voie dont l'injustice vient d'être spectaculairement condamnée ? Pas la CFDT qui, affirme François Chérèque, " s'oppose " au retour de la dégressivité et veut " privilégier " l'autre levier : une augmentation des cotisations. Le MEDEF, lui, on le sait, arc-bouté sur le dogme de la baisse des prélèvements obligatoires, n'envisage pas un instant une hausse de la contribution patronale. Et l'on peut craindre qu'il soit tenté de laisser pourrir la situation, pour, comme le pronostique un syndicaliste, favoriser la mise en place d'" un régime à l'anglo-saxonne où très peu de chômeurs sont indemnisés en tant que tels, et où le plus grand nombre est basculé vers la solidarité nationale, l'assistance ".
Revoir l'assiette des cotisations
Pour la CGT, face au danger l'heure est venue d'une réforme en profondeur du système d'indemnisation de la perte d'emploi. Une réforme visant à améliorer la couverture - tant en étendant le périmètre (six chômeurs sur dix ne sont pas indemnisés) qu'en relevant les allocations -, mais aussi à modifier le financement du système. Premier axe : " Il faut revoir l'assiette des cotisations patronales en prenant en compte les richesses créées par les entreprises, la valeur ajoutée ", préconise Jacqueline Lazarre, représentante de la CGT au bureau de l'UNEDIC. Il s'agit, par la modulation des taux de cotisations, de " rendre plus cher le chômage et la précarité " et, à l'inverse, d'encourager la création d'emplois de qualité. Dans la foulée, la CGT propose d'instaurer une surcotisation applicable " aux entreprises qui utilisent la précarité sous toutes ses formes : intérim, CDD, heures supplémentaires... ". Une suggestion faite également par Force ouvrière, qui fait observer que l'emploi précaire " participe pour 5,6 milliards d'euros chaque année au déficit global " de l'UNEDIC. Pour Jacqueline Lazarre, la responsabilité des pouvoirs publics est aussi engagée : " La question du financement n'est tenable que si l'État, le gouvernement et le Parlement réglementent sérieusement la précarité, la sous-traitance, les filiales. " Et d'avancer l'idée de revoir le système des allégements de charges et d'aides publiques de manière à conditionner leur attribution à la création d'emplois à durée indéterminée et à temps plein.
" Je peux vous dire que nous n'accepterons pas un accord avec les trois mêmes signataires qu'en 2002 " (CFDT, CFTC et CGC), tonitrue Jean-Luc Cazettes, président de la centrale des cadres. " La CGT et FO devront se mouiller. " Peut-être faudra-il alors que ça aille " dans le bon sens ", à rebours des prétentions de Denis Gautier-Sauvagnac et de ses amis...
Yves Housson et Thomas Lemahieu