Suite du dossier (2)

Raymond et « Les Malgré - Nous »

Texte écrit par : KOWALSKI Anne - LIPPOLIS Roxane - MEYER Mélanie - PERROT Emilie - RAMA Aurélie - STEFFANN Aurélie

Le terme de " Malgré - Nous " désigne des Lorrains et des Luxembourgeois qui furent enrôlés de force dans l’armée allemande ,la Wehrmacht ,à partir de 1942, et qu’on envoya surtout sur le front russe .Il s’agit en fait d’environ 130 000 Alsaciens et de 30 000 Mosellans .Ils doivent ce nom à André Bellard, journaliste et conservateur des musées de Metz. Bien qu’ayant combattu vaillamment dans les rangs de l’armée française, il fut , dès 1919, à l’origine d’une association de Mosellans incorporés par les Allemands. 40 000 de ces " Malgré - Nous " (dont 7 000 Mosellans) furent tués ou portés disparus en URSS .

I .Les faits .

Dès le 28 Mai 1942 , il est envisagé , à la demande du Général Keitel , de mobiliser Alsaciens , Lorrains et Luxembourgeois. Le service militaire sera donc imposé aux hommes nés de 1920 à 1924 n’ayant pas servi dans l’armée française et ayant reçu auparavant la nationalité allemande. L’annonce solennelle de la conscription est faite dans l ’Hôtel des Mines de Metz le 29 Août 1942. Malgré les protestations du gouvernement français , la procédure d’incorporation pour ceux nés en 1922  ,1923 ,1924 commence le 12 Octobre 1942 et se prolongera jusqu’au 8 Février 1944 .

12 000 d’entre eux ne sont pas rentrés en France à la fin de la guerre et au 1er Mars 1948, on était encore dans l’ignorance du sort de 3801 Mosellans tombés ou disparus dans les camps Soviétiques.

Tous les Malgré - Nous ont subi l’isolement : les Mosellans comme les Alsaciens ne sont jamais regroupés. La plupart du temps, le Lorrain souvent très jeune, est seul dans sa section .Le problème pour lui est " de faire son boulot et de ne pas se faire repérer " .Les Alsaciens - Mosellans sont presque systématiquement envoyés sur le front russe .Ils furent incorporés dans le Wehrkreis I ,la 1ère région militaire ,celle de Prusse, la plus proche du front russe .

Le sort de ceux qui, à partir de la bataille de Koursk ( véritable tournant de la lutte sur front de l’Est en Juillet 1943 ) ,tombèrent entre les mains des Soviétiques a longtemps été une interrogation .Depuis 1945 les différents gouvernements français ont oublié les disparus du camp de Tambov et des autres .Dans les camps, les Russes les dépouillent de tout, vêtements chauds d’abord, puis montres et papiers .Souvent les Russes les abattent sur place. On ne saura jamais le nombre exact de morts en captivité dans les camps Soviétiques, prisonniers parqués, dans les conditions d’hygiène et de sous - alimentation effroyables .On peut imaginer la joie des 1500 libérés de Tambov le 7 Juillet 1944. Ils purent participer aux combats de la Libération .


Dans le wagon à bestiaux se trouve Raymond Briegel...

Pour un grand nombre de survivants, la tragédie ne se termina qu’avec l’écroulement de l’Allemagne .Aujourd’hui, cette période reste un souvenir très douloureux pour les Malgré-Nous encore en vie .Certains d’entre eux ont tenu à laisser une trace écrite de ce qu’ils ont vécu .

II .Vie quotidienne et conditions de vie .


A droite : Raymond Briegel
Les mémoires de guerre écrites par un " Malgré - Nous " , Raymond STEFFANN, nous permettent de savoir quels furent le moral et les conditions de vie de ces enrôlés de force , de 1942 à 1945 .

A travers l’exemple que constitue son récit, il nous renseigne sur la perception des événements " à chaud " et sur le quotidien de ses camarades incorporés comme lui à la Wehrmacht .

A 17 ans et demi, ayant échappé aux Jeunesse Hitlériennes, il dut effectuer son service à l’Arbeitdienst (en fait une sorte de pré-service militaire ) où la discipline était de fer , les français ne parlant pas allemand faisant l’objet de vexations et de corvées .

Certains étaient recrutés dans les services SS , il était difficile (mais pas impossible) de refuser .C’est pourtant ce que fit Raymond STEFFANN mais à peine rentré chez lui, il reçoit son appel pour la Wehrmacht, qu’il intégra au Printemps 1943..La Wehrmacht essayait de nazifier les enrôlés ( chants allemands ,serment obligatoire ) mais ces tentatives furent le plus souvent vaines .Le temps des Malgré - Nous se partageait entre instruction et patrouilles du soir ,qui occasionnait des marches exténuantes dans le sable ou la neige, à la recherche de Partisans (Résistants) toujours introuvables .
Au premier plan et au milieu : Raymond Briegel

Raymond Briegel (au centre) et son copain de Kientzheim (à gauche)
Lors de ces patrouilles, les " mauvaises rencontres " entraînaient des risques réels (coups de feu ,explosions ) .

Parmi les soucis quotidiens , le principal était de manger :la nourriture était en effet le plus souvent insuffisante et des petits " trafics "avaient lieu pour subsister .

Raymond STEFFANN fut ensuite envoyé au front en Décembre 1943 dans un régiment de grenadiers .Dans la nuit de Noël se produisit une attaque violente très meurtrière aux environs de Tchernobyl .qui par sa symbolique ,marqua les Malgré - Nous alors présents .Certains - dont notre auteur - furent ensuite envoyés plus au Nord .

Leurs conditions de vie étaient très difficiles , leurs vêtements étant très mal adaptés à l’hiver russe extrêmement rude (souvent -40°C ) et très long ( sol enneigé d’Octobre à Avril) . Quant à la nourriture , il lui arrivait fréquemment d’être gelée ! L’atmosphère ,elle ,était assez tendue ,d’autant plus que les officiers allemands s’ingéniaient à mater les fortes têtes .

Après de nombreuses batailles( certaines au corps à corps ) la Wehrmacht dut reculer face aux Russes près de Dniepr en Février 1944 .


Photo prise par Raymond

Durant les combats ,beaucoup voulaient se rendre aux Russes pour qu’ils les aident à rejoindre les F.F.L. .Raymond STEFFANN réussit à se faire faire prisonnier des Russes .Transféré au camp d’Armavir ( où son occupation principale était l’agriculture ) puis de Tiflis (actuellement Tbilissi ) ,il fut recruté au " Bureau Politique " ( son rôle consistait alors à lire les journaux !) puis comme électricien ( son métier d’origine) .Cette période fut donc assez tranquille ,mis à part les mauvaises conditions météo et l’alimentation réduite, à cause desquelles beaucoup de prisonniers tombèrent malades et périrent - en 7 mois, la moitié meurt .

Par la suite, en Juin 1945, Raymond STEFFANN fut transféré au camp de Tambov, où les conditions de vie étaient bien pires  (mauvais traitements, nourriture de plus en plus rare) .

Il put enfin rentrer en France en Septembre 1945. Au bout de quelques mois ,il reprit son emploi, comme beaucoup de ceux qui ont survécu à ce conflit tragique. Evidemment traumatisé - physiquement et psychologiquement - par la guerre, il nous rappelle son retour différent et le climat de réprobation qui a suivi "  les années noires " : il n’était en effet pas bon de rappeler ce qui s’était vraiment passé...Et beaucoup avaient honte d’avoir appartenu à la Wehrmacht, l’armée " ennemie du cœur " .

III .Témoignage : La souffrance morale .

"  A l’Est, le 24 Décembre 1943.

" Mes chers parents,

" J’avais décidé en mon for intérieur de ne plus vous écrire cette année, mais en ce jour de Noël, le mal du pays m’ayant saisi d’une étreinte si violente, si brutale que je n’ai pu m’empêcher de vous crier ma douleur si profonde et qui me ronge malgré mes efforts pour la maîtriser, mais sans succès.

" Malgré que vous m’ayez appelé " Allemand " , je ne suis pas dans mon élément parmi eux. Je ne comprends ni leur langue ni leurs chansons. Je voudrais tant entendre parler français, je suis comme un paria perdu dans un pays sans limites, comme une coque de noix au milieu des océans , comme Français au milieu d’Allemands, enfin, comme un mouton au milieu de loups-garous !

" Pour la première fois depuis longtemps, des larmes coulent le long de mes joues, ma poitrine se serre comme coincée dans un étau, un long sanglot m’étouffe douloureusement ; pas une lettre, pas un bonheur, bonheur, c’est un mot dont j’avais appris à apprécier le sens pendant les vingt et un jours de permission et qu’il me faut oublier désormais pour Dieu sait combien de temps...

" Des voix noyées dans l’eau de vie chantent à tue-tête ; des chansons de toutes sortes me parviennent du bunker voisin, elles semblent soudain prises d’une sainte émotion, lorsqu’ils entonnent " Heimet deine Sterne " , cela prend pour moi une telle ampleur que les yeux fermés je cherche à revoir mon pays, la cathédrale, les rues, notre maisons et vous, enfin, je revis en rêve les belles heures dont le souvenir me demeure lancinant comme une plaie inguérissable.

" Enfermé dans ma tour d’ivoire, tel un ermite, je gravis sans aide mon pénible calvaire autant qu’immérité et résume mon chagrin tout dans un poème.

" Voilà qu’entre temps Jésus est né, combien de familles unies, heureuses fêtent la naissance du Christ, mais combien de familles éparpillées aux quatre points cardinaux pleurent leurs foyers en ruine, combien pleurent un membre qui ne peut plus répondre présent à l’appel.

" C’est en serrant les dents que je me résigne à vous quitter pour aujourd’hui en vous embrassant de toutes mes forces filiales.

Votre fils Gaston. "

Comme ce Gaston, plusieurs " malgré nous " ont dû se sentir insultés par leurs propre familles ; l’injustice devait être d’autant plus grande ! Dans ces lignes on ressent bien la solitude du soldat lorrain et le sentiment que la guerre est plus une folie de grandeur que le souhait d’un homme.

Bien plus qu’une simple lettre, ce jeune homme nous révèle la détresse de toute une masse !

 

Sources :
- Mémoires de guerre (Raymond STEFFANN)
- Les années noires

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article du Republicain Lorrain ...